Pelouse interdite [88]

« -Que monsieur me pardonne mais je trouve quand même que tout ceci est assez tarabiscoté, si vous me permettez l’expression…

-Laissez ces biscottes où elles se trouvent, Jasper… Je vous ai déjà dit cent fois (ni loi!) que pour me permettre de faire vivre des aventures à mon personnage, je devais le faire riche. C’était la seule solution. Sinon comment voulez-vous qu’un héros se débrouille s’il doit se tracasser de travailler et de payer ses factures. Tintin et Haddock habitent au château, Wilde et Sinclair se fichent éperdument de la fin du mois, Magnum vit dans une somptueuse propriété à Hawaï, même Bob Morane est pété de tunes…

-Oui, mais Thomas Magnum doit prendre en charge les frais de la Ferrari de monsieur Masters…

-Peu importe ! Ce sera comme cela, fin de la discussion. Et je vous trouve bien mal venu de rouspéter à ce sujet. N’oubliez pas que si mon personnage reste pauvre, pas de Jasper. Et pas de Jasper ?

-Finit mes concours de tricots et de crochets… Mais je ne sais pas… J’aurais vu pour un blog nature et jardin une ambiance plus… comment dire… plus « maison dans la prairie ».

-Jasper…

-Oui, monsieur, …

-Vous ne savez pas couper du bois. Mais trêves d’ergotages, nous voici arrivés à cette fête des plantes. »

Quelques minutes plus tard… Lorsque nos deux compères purent rentrer au sein du parc et qu’on leur eut remis le plan de celui-ci.

« -Monsieur sera déçu, monsieur. Plus aucun pépiniériste ne semble encore vendre de cornouiller.

-C’est une blague j’espère, Jasper (ndlr : oulà, pas facile à dire ça!) !

-Hélas non monsieur… Les Cornus ne sont déjà plus à la mode…

-Nous nous rabattrons donc sur les fougères…

-Dois-je rappeler à monsieur que l’habitacle d’une Maserati Granturismo n’est pas réellement prévu pour transporter deux palettes de vivaces.

-Ce n’est pas mon problème. C’est vous qui conduisez, c’est donc vous qui vous occupez du chargement et… »

Un individu Homo sapiens mâle venait de très légèrement frôler la manche gauche de la veste hors de prix, selon ses dires, de notre héros. Son sang devint tiède, car il perdit son sang-froid consécutif à la pratique du jardinage par grande sécheresse, et ne fit qu’un tour. (ndlr : mais ça ne veut rien dire !)

-Non mais dites donc, vous ! Vous ne savez pas qui je suis ! Je vous provoque en duel jeune paltoquet !, éructa-il en sautillant et en agitant ses petits poings.

BING !

Quelques secondes plus tard… Le corps de notre héros gisait sur l’herbe humide devant un étal de vivaces en fleurs. Aucun badaud ne semblait se préoccuper du sort de notre ami. Pas même un scout-brouetteur ne s’arrêta pour prendre livraison du colis moyennant une piécette ou deux.

« -Excusez-moi, lorsque j’ai vu cet homme s’agiter curieusement autour des heuchères ‘caramel’, j’ai eu peur pour elles et je suis intervenu un peu sèchement.

-Ce n’est rien, ça lui arrive tout le temps. – répondit Jasper en attrapant les chevilles de son patron toujours placé horizontalement sur le sol. Il commença à le traîner vers le parking lorsqu’il expliqua – Mon patron possède la malencontreuse habitude d’arrêter tous les coups directs avec le nez… Ce qui est une bien mauvaise idée si vous voulez mon avis. Quoi qu’il en soit l’incident est clos et j’espère que vous garderez tout de même un bon souvenir de cette journée. Je ne crois pas vous avoir demandé votre nom, Monsieur ?

-Semoun. Elie Semoun.« 

 

Papa noël est enfin passé. Chez vous, il vous a laissé votre orange réglementaire mais par chez moi, il m’a déposé sous le sapin quelques cadeaux bien trouvés : une scie d’élagage (d’une firme savoyarde…), un rhum hors d’âge, un harmonica (ne posez pas de questions !) et une tonne et demi de bouquins en tous genres.

Parmi ceux-ci, coincé entre deux intégrales de bande-dessinées belges, le livre d’Elie Semoun :

Pelouse interdite

pelous interdite
Et oui, encore un Ulmer… Mais avec une mini-préface de Jean-Paul Rouve

Un titre qui fera, sans conteste, l’unanimité parmi nos amis permas, mal rasé(e)s, hortusien(ne)s ou les punks et punkettes du jardin. Et peut-être même aux autres…

Car, oui, étonnamment lorsque aperçoit le nom de l’auteur, on a du mal à deviner que ce livre parlera de… jardin. Et pourtant il en parle. Et pas de n’importe quel jardin ! Son jardin. Le sien. A lui.

Mais n’escomptez pas y trouver des conseils pour semer vos carottes. Car Elie n’aime pas le potager. Je ne saurais d’ailleurs lui en tenir rigueur. J’ai moi-même pris ma retraite concernant le potager pour ne me consacrer définitivement qu’à l’ornement et à la protection de la nature dans mon petit bout de terrain. J’en ai « soupé » du maraîchage du dimanche. Vive la permaculture naturo-ornementale !

Monsieur Semoun n’a pas non plus la prétention de vous indiquer comment soigner telle ou telle plante ou comment on doit tailler, planter, chipoter, … au jardin.

Il nous parle juste de son amour immodéré pour les plantes. Car il aime les plantes en effet… Parfois un peu trop (mais pourrait-on lui reprocher ?). Notamment lorsque, sur un coup de tête, il dévalise la moitié du stock d’un pépiniériste spécialisé ou qu’il prend l’excuse bidon d’une tournée de spectacle, pour avoir l’occasion de faire… une tournée de jardineries, fêtes des plantes ou autres dealers de plantouilles. Nous avons d’ailleurs un dealer commun en la personne de Thierry (et Sandrine!) Delabroye…

Quelques anecdotes sont assez croquignolesques comme lorsqu’il se fait jeter au garde-à-vous par Catherine Deneuve pour avoir laissé dessécher des Camélias en plein cagnard (ndlr : Catoche – oui, moi je l’appelle Catoche – est aussi une folle de plantes) ou lorsqu’un revendeur de volailles vient lui apporter ses nouvelles acquisitions dans… le hall d’un hôtel de luxe bruxellois. Cot Cot !

En réalité, la lecture de ce livre nous procure un bien fou. Une bouffée d’oxygène. Un soulagement incroyable. Car Elie Semoun est un jardinier comme vous, comme moi, comme tous les autres… Il plante – il rate – il plante – il rate – il plante – il réussit enfin.

Comme nous !

Il essaye, il tente (d’indien!), il n’écoute pas les conseils qu’on lui donne, il plante trop rapproché (c’est bien!), il plante trop âgé pour tenter de gagner du temps (c’est pas bien !), il achète tout d’un coup, il fait des mauvais plans sur un vieux bout de papier, il est impatient, …

Comme nous !

Oui, il est impatient. Comme il le dit lui même, le jardin ne lui a pas appris la patience (à moi non plus d’ailleurs !) mais le respect.

« On dit que la jardin est une école de patience et de sagesse… Eh bien j’ai le regret de constater que sur moi, ça n’a pas eu d’effets ! » Elie Semoun

Et il adore les abeilles, les animaux et la nature en général.

Comme nous !

Seul léger bémol de cet ouvrage, les conseils jardino-pédagogiques de Didier Willery semblent tomber dans les pages du récit tel un meconopsis dans une collection de fougères (ndlr : mais c’est très beau un pavot de l’Himalaya parmi des fougères!). Ils viennent sensiblement casser le rythme de la narration et on se surprend à penser à voix haute « Oui, c’est bon Didgé, on le sait tous ça ! Maintenant laisse parler Elie ! ».

Je me demande ce qu’il aurait dit si quelqu’un avait eu l’outrecuidance de l’interrompre sans cesse dans « Dingue de plantes » ? Ceci dit, ce n’est guère dérangeant car les notes de Didier Willery sont en italique, ce qui permet de les passer si le cœur vous en dit. Ou, à contrario, de les retrouver plus facilement si vous cherchez des explications sur une plante précise (le daphniphyllum par exemple!) car, après tout, je suis peut-être le seul que cela dérange…

En conclusion et pour m’arrêter là de peur de « spoiler » un peu trop le bouquin, je dirais que c’est un livre rassurant pour tous les jardiniers qu’ils soient débutants ou confirmés. En effet, on se rend compte que nous avons tous les mêmes défauts mais surtout les mêmes qualités quelque soit notre milieu d’origine ou notre cadre de vie. Même si, lorsqu’on lit le livre on se rend compte qu’Elie Semoun est quelqu’un de bien plus simple et modeste que ce qu’on aurait pu penser de prime abord de la part d’une « vedette« .  Nous sommes finalement tous pareils. Mais aussi, et surtout, nous sommes tous nuls à notre façon. Car nous tous, nous « ratons » des choses au jardin avec une rigueur de métronome suisse. Mais qu’importe quand on se rend compte que nous ne sommes pas les seuls…

C’est, en définitive, un beau témoignage d’un autre « dingue de plantes » à lire au coin du feu lorsqu’il fait bien trop venteux et humide dehors pour sortir le bout du nez. Un chouette cadeau à s'(e faire) offrir.

« Mon jardin est comme un livre que je relis tous les jours, mais dont les mots, toutes les nuits, se transforment et changent de place pour former des phrases différentes. » Elie Semoun

 

Deux jours plus tard… Au manoir ‘Nature Lupine’…

« -Un monsieur est là pour vous monsieur. Voici sa carte et il amène un étrange outil sur son épaule, un ébrancheur je crois. »

La carte que me tendait Jasper indiquait en gros caractères un simple nom :

« –Didier Willery ! Mais… Vous venez vous venger de mon article en me coupant mes chers cornus à ras de terre. C’est bien cela ?

-Ah bah non… Je venais juste vous mettre cet outil en pleine tronche.

-Ah ok… Bon on dit qu’on fait comme ça… »

BING !

 

ALLARD Olivier

 

PS : pour commander le livre : Pelouse Interdite.

PS’ : message personnel à Elie : « C’est quoi cette idée de ne planter qu’un seul Cornouiller, un simple Cornus controversa ‘variegata’ en plus ? Vous allez me faire le plaisir de remédier à cela dans les plus brefs délais ! Nonméhodidonc ! »

Auteur : NatureLupineblog

Je rouspète, je râle,… sur le jardin, sur la nature, sur les gens,… Bref je dis pleins de choses sur mon blog mais toujours avec humour et avec passion

3 réflexions sur « Pelouse interdite [88] »

  1. La lecture du livre d’Elie Semoun m’a fait exactement la même impression que vous. Ce qui est bien dans le jardinage, c’est que toutes les personnes sont égales. Qu’on soit une vedette ou un prof d’université (c’est mon cas) ou quoi que ce soit d’autre, on doit tous faire preuve de la même humilité. J’attends votre article tous les dimanches matin. Continuez

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