Une sacrée histoire !

-Échec et mat !

-Ah ! Mais c’est pas vrai ! Je n’ai même pas eu le temps de roquer !

-Du coup, c’est vous qui payez la p’tite sœur ! – Le Roger, un rabougri d’une cinquantaine d’années semblable à une musaraigne coiffée d’une casquette de tweed triomphait – Tom, tu nous ramènes deux mousses ?

-Oui et bien mollo sur la picole, hein… – tempéra le perdant de cette partie d’échec – A ce train-là, vous allez rentrer chez vous à quatre pattes.

-Tiens, en parlant de « picole », vous nous la terminez cette histoire ?, insista le Roger.

Tom le barman, semblable à un morse aussi hirsute et gras, surgit de derrière son bar et lança en se tripotant une moustache particulièrement fournie :

-Oui, au final, on ne sait toujours pas ce qui vous est arrivé…

-Bon je reprends… Dehors, c’était un véritable cataclysme. Des averses de neige battaient le pare-brise, de vilaines bourrasques poussaient de droite à gauche la voiture, tandis que…

-Oui, bon, c’est l’hiver quoi ! Y a rien d’exceptionnel à ce qu’il neige dans la région, le coupa le Roger.

-C’est moi qui raconte ou c’est vous ?

-Allez-y allez-y… Ne l’écoutez pas !, l’encouragea le Tom.

-Comme vous avez sans doute dû le lire quelque part, j’ai perdu mon volant pour l’année prochaine…

-Pour sûr, qu’on l’a entendu dire ! Hein, Tom !

-C’est bien vrai le Roger… Viré comme un malpropre de chez Maserati. Un grand pilote comme vous… Après tout ce que vous aviez fait pour l’écurie…

-Bref… Pour me remonter le moral, ma sœur me dit : « viens passer les fêtes de Noël avec nous. Ça te changera les idées. » Donc je me retrouve sur vos dingues de routes à éviter adroitement les congères et je réussis tant bien que mal à ne pas sortir de la piste.

-Pas à dire, z’avez de beaux restes question pilotage, pour sûr, hein Tom ?

-Tu dis vrai l’Roger. C’est que c’est des drôles de virages pour monter sur le « Pas-du-Jöl »…

-Mais je n’étais pas au bout de mes peines – continua l’imprévu conteur – En sortie d’une épingle, je vis alors en plein dans mes phares… Je vous le donne en mille ! : un renne.

-Un renne ?, s’étonnèrent les deux autres hommes.

-Un renne !

-Non, mais vous voulez dire un cerf ou un chevreuil ou une aut’bête ?, questionna le barman.

-Oui, vous z’aut’ de l’ville, vous ne distinguez pas toujours le…euh… le bon grain de l’ivraie. Pas vrai l’Tom ?

-Si fait, le Roger mais ne commence donc pas à faire des phrases que c’est compliqué dans ta tête… Alors, ce cerf ?

-Non non non, un renne ! Je ne vous dis pas n’importe quoi ! Je ne suis pas que pilote automobile, j’ai eu aussi un diplôme de zoologie… dans le temps. Un vrai renne mâle, quoi : Rangifer tarandus.

-Un renne ? Mais on n’a pas de ça dans la région. T’en dis quoi l’Tom ?

-En tout cas, le vieux Marcel n’a jamais tiré ça… Un cycliste ou un promeneur une fois ou deux, ça oui. Mais jamais de renne… Qu’est-ce que vous avez fait du cadavre justement ?

-Ah, mais je ne l’ai pas touché ! En l’évitant, je me vautre complètement dans une immense congère. Pas moyen de sortir la Maserati de là…

-C’est pas tellement conçu pour un gymkhana dans la neige ces voitures-là…, commenta le Roger.

-Je sors furibard de l’habitacle et commence à engueuler le renne qui me regarde bizarrement. Soudain, il tourne les talons, se barre dans la forêt et disparaît.

-Comme par hasard !, siffla Tom.

-Ah ça, quelle coïncidence !, s’exclama Roger.

-Ouais, vous ne me croyez pas, quoi !

-Mais si mais si… Tenez, pour votre peine je vais carrément ouvrir une bonne bouteille maintenant que la salle s’est vidée, fit Tom en ouvrant une armoire derrière son comptoir.

-Ah c’est vrai qu’on est les derniers. Et c’est tout ?, fit le Roger en parcourant du regard l’intérieur enfumé de la taverne.

-Pas du tout ! Pour je ne sais quelle raison, je suis la bête.

-Comment ça : vous « êtes » la bête ?

-Non je suis… enfin… je poursuis la bête si vous préférez.

-Pourquoi faire ?

-Ce que je sais, moi ? Je ne devais pas avoir les idées très claires. J’étais sans doute en état de choc après tout.

-Finalement, votre écurie avait p’têt bien raison de vous remplacer. Si vous perdez vos moyens sur un si petit accident…, lâcha sardoniquement le Roger.

-Plaît-il ?

-Rien. Il dit des bêtises. Continuez, encouragea le Tom.

-Je prends donc la direction prise par le renne. Il fait nuit noir. Tout est gris bleu à cause de la neige. Je ne vois absolument rien et je me paume complètement.

-Tu m’étonnes !

-Le nombre de gars qu’on a retrouvé comme un morceau de viande congelé dans cette fichue forêt.

-Mais… tout à coup, j’entraperçois une lueur au loin.

-C’est français, ça : « entrapercevoir » ?

-C’est la meilleure ça ! C’est les deux péquenauds du coin qui vont m’appendre le français sans doute ?

-Vous fâchez pas !, souffla Roger.

-Sans compter que le péquenaud est déjà bien bon de vous avoir fourni à manger, à boire et une chambre, s’indigna le patron de l’établissement.

-Ne recommencez pas à vous bouffer le nez tous les deux, j’ai envie de savoir ce qu’il se passe après. Cette lueur ?, demanda Roger.

-Cette faible lueur devient mon idée fixe. Je fonce comme un fou à sa rencontre. Et j’arrive au bout de quelques minutes de courses sur un chalet en bois. La lueur provenait d’une vieille lampe à huile derrière une fenêtre.

-Il n’y a pas de cabane ni de maison dans la forêt…

-Ben si, il y a bien eu c’tte bicoque là…. Comment il s’appelait le zigoto ?

-Le vieux Klaus ? Mais ça doit faire 30 ans qu’il est mort maintenant. Et puis je me demande si ce n’était pas des histoires pour faire peur aux gamins finalement…

-Eh bien moi je vous dis qu’il y avait une petite maison en bois.

-Admettons… Poursuivez !

-J’avais froid et j’en avais marre de crapahuter dans la neige et dans le noir, du coup, ni une ni deux, je tambourine à la porte.

-Et là paf ! C’était vide, bien évidemment…

-Pas du tout ! La porte s’ouvre et un type énorme apparaît dans son encadrement : l’âge incertain, une grande barbe blanche qui lui mange le visage et une partie du torse et des sourcils broussailleux qui auraient pu servir d’abri à une famille de souris. Et puis attelé comme un cheval de cirque avec ça ! Il était vêtu de grosses bottes fourrées, un large pantalon et une veste ample de couleur verte avec pompons et glands dorés, une énorme ceinture qui tentait de tenir sa bedaine rebondie et un gros bonnet rouge qui lui tombait sur le coin de l’oreille. Un vrai personnage de carnaval !

Les deux amis se regardèrent interloqués.

-« V’nez-y donc ! », qu’il me fait. « Rester dehors par un temps pareil, c’est un coup à chopper du mal ! ». Dons je suis rentré… D’abord pour me réchauffer puis pour demander à appeler une dépanneuse. Je n’avais pas tellement envie de passer le nouvel an dans la région. Sans vouloir vous offenser… Mais je devais déchanter assez rapidement…

-Pourquoi ?

-Comment vous dire ? Vous voyez la petite maison dans la prairie.

-Euh… plus ou moins, oui…

-Eh bien, vous prenez l’intérieur de la baraque des Ingalls, vous rajouter des jouets en bois partout, un grand sapin, deux ou trois décorations chatoyantes, un grand feu, deux vieux fauteuil et…

-Et ?, questionna Tom.

-Et c’est tout. Je lui demande tout de même s’il a internet, un téléphone ou même un pigeon pour envoyer un message. Il me répond « rien de tout ça, je ne préfère pas qu’on puisse me contacter, d’aucune façon…».

-Un ermite en somme.

-Exactement, un vieil ermite, tentant de vivre peinard, seul dans la forêt. Il m’indique un fauteuil et me colle dans les mains une tasse de vin chaud aromatisé à la cannelle sortie de nulle part.

-Moi, je rajoute une rondelle de citron et de l’anis badiane, commenta Roger.

-Et moi, quelques clous de girofle… Mais chut ! Laisse finir le monsieur.

-Il me regarde alors avec des petits yeux perçants en plaçant ses mains en pyramide collées à son torse. Et là grosse surprise !

-Il lâche une caisse ?, lança la Roger.

-Ah bravo, c’est fin ! Non, il m’appelle par mon prénom.

-Mais vous le connaissiez ce gars-là ?, s’étonna le Tom.

-Jamais vu de ma vie ! Mais bon, peut-être qu’il m’avait reconnu une fois dans les journaux ou à la télé. Encore que ce ne doit pas être le genre à suivre le sport automobile… Non seulement, il m’interpelle mais il commence à me sermonner « mon petit, ça fait un moment que je souhaitais te revoir… »

-Ah vous voyez qu’il vous connaît.

-Tais-toi bon sang !

-Il me tutoie, ça part déjà mal, mais il poursuit : « Avant de devenir cet adulte arrogant et un peu aigri, tu étais un si gentil petit garçon. Tu ne souhaitais que des petites voitures miniatures quand tu n’étais qu’un bambin… Comme… Celle-ci… » Il me sort alors une petite Formule 1 en bois de couleur jaune avec un numéro 1 sur le museau. Une petite voiture absolument identique à celle que je garde comme porte-bonheur depuis mon enfance. À ceci près, que celle qu’il agitait devant mon nez semblait neuve.

-Ça par exemple !

-Il continue : « Tu ne rêvais que d’une chose, devenir toi-même un grand pilote automobile comme tes idoles de l’époque, Hamon Dill, Häka Mikkinën et bien sûr le grand Michel Cordonnier. J’ai voulu alors donner un coup de pouce à ce petit garçon si ambitieux et aux yeux bizarrement gris. Je t’ai donné un don par le biais de cette petite voiture. Celui de toujours aller plus vite que les autres pour peu que tu sois sur quatre roues… et que tu la gardes près de toi. Mais à tout don, il y a toujours une contrepartie… » Je plissais les yeux à mon tour et me demandais sérieusement où ce vieux timbré allait en venir. « Le temps de ton don est révolu. Place aux jeunes maintenant ! Il est plus que temps. Mais ça ne veut pas dire que tu n’as pas encore une mission sur cette terre… »

-Je vous ressers la dernière ?, coupa le Tom.

-Tu as bien le don de couper les histoires pile où il ne faut pas, toi. Pire que les pubs à la télévision… C’était quoi cette mission ?

-Le vieux se relève un peu dans son fauteuil et me fixe intensément. Il hausse alors le ton : « tu as bien profité de la vie et tu as gagné énormément d’argent. Maintenant c’est à toi d’apporter du bonheur autour de toi. Donne ! Aide ! Protège ! Soigne ! Soutiens ! Console ! C’est ce que j’attends de toi ! Quitte ton attitude égoïste et fais le bien autour de toi pour le reste de tes jours ! Sinon… » Et là, il me désigne de son doigt ganté quand soudain…

-Eh bien ? Soudain quoi ? Ne nous laissez pas comme ça…, s’insurgea le Roger.

-Attendez ! On papote, on papote… mais je n’ai toujours pas touché à mon verre, moi. – le conteur s’enfile un canon avec délectation puis continue – Soudain, disais-je, une cloche se fait entendre. Depuis un moment déjà, j’avais remarqué qu’il y avait un peu de bruit et de la lumière dans une deuxième cabane, un peu plus grande que la première, que j’apercevais derrière la fenêtre. Le vieux regarde subitement l’heure sur une horloge particulièrement compliquée, se lève de son fauteuil beaucoup plus vite que son poids et son âge ne l’auraient laissé supposer et ni une ni deux il me vire de la maison en prétextant d’avoir énormément de boulot cette nuit-là.

-Peuh ! Un grand gaillard comme vous ?, s’étonna le Barman moustachu.

-Une force de la nature, je vous dis. Il m’a pris par le col et m’a soulevé du sol comme si j’étais un chihuahua… Mais ce n’est pas tout. Avant de me jeter dehors, il me donne une petite pièce d’or et me sort : « pour revenir dans ton monde, c’est facile, il suffit de le vouloir très fort en fermant les yeux et en serrant cette pièce dans ta main gauche. Mais n’oublie pas ce que je t’ai dit… » Et il claque la porte et disparaît puis tout s’éteint dans la maison.

-Et vous avez fait quoi ?

-Ben j’ai fait ce qu’il m’a dit. J’ai serré la pièce et fermé les yeux… Je me suis concentré et bam ! Je me suis retrouvé devant le « Guinea Pig »…

-Devant mon pub ?

-Eh oui…

-Et elle est où cette pièce ?

Notre héros fouille alors ses poches dans l’espoir de retrouver la pièce d’or. En vain…

-Mais enfin… je l’avais juste là et… qu’est-ce que c’est que ça ?

Il ressort de sa poche un trousseau de clé sur lequel est accrochée non pas l’habituelle miniature de son enfance mais celle flambant neuve du vieil homme. La livrée de son casque est même reproduite sur celui du petit bonhomme dans le baquet. Notre homme est abasourdi mais Tom le coupe dans ses pensées.

-Y a-t-il un seul mot de vrai dans toute cette histoire ?

-Ah… Laissez tomber, je savais bien que vous ne me croiriez pas… Tiens d’ailleurs, il se fait tard, je vais me coucher puis demain je reprends une bagnole pour rejoindre ma sœur et sa famille. Et basta ! Dans deux jours, je pourrai réveillonner avec eux…

-Ça m’étonnerait, on est déjà le 24…, ajouta Roger, la musaraigne.

-Le 21, vous voulez dire ?

-Je vous assure que ce soir, nous sommes le 24, le réveillon de Noël, quoi ! J’allais justement vous proposer de venir à la messe de minuit avec nous.

-Le 24 ?! Mais… c’est impossible ! Comment aurais-je pu perdre trois jours entiers ? Ça na pas de sens…

Son regard se porte encore sur sa petite auto dans ses mains… Faire le bien autour de soi ? Après tout, pourquoi pas… Il ne l’avait jamais fait auparavant, ça peut être amusant… Une nouvelle vie qui commence…

-Allez ! C’est avec plaisir. Je passe Noël avec vous deux. Ce sera ma première bonne action de ma nouvelle vie : égayer le quotidien de deux vieux loups solitaires.

-Oh, mille mercis mon seigneur – se moqua Tom en mimant une sorte de révérence – Mais je sens qu’on va bien s’amuser !

-Oui, et puis vous avez un vrai don pour inventer de sacrées histoires. Ça pour sûr, hein Tom ?

ALLARD Olivier

L’étrange Noël de Mr. Lupine

Nous allons vous raconter l’histoire du plus grand grigou que cette terre aie jamais comptée. Pas une seule petite piécette ne sortait jamais de sa poche. Pas un simple petit billet ne tombait de son portefeuille. Mis à part peut-être pour acquérir un énième cornus ! Et encore tentait-il alors d’embobiner le vendeur ou n’achetait-il que de toutes petites pousses parce que, je le cite, « c’est quand même vachement moins cher ! »

Vous l’aurez compris, c’était un individu tellement pingre qu’il prenait toutes les occasions au vol pour ne jamais sortir le moindre argent :

« Cela fait cinq ans que la porte d’entrée ne s’ouvre plus ? Et alors, les gens n’ont qu’à passer par derrière ! »

« Bah ! Ce lacet cassé tiendra bien encore quelques années… »

« Pourquoi ai-je encore été cherché une dizaine d’arbustes à la Semaine de l’Arbre ? Mais enfin… c’était gratuit ! »

« Réaliser des vidéos sur le jardin ? Je ne dis pas non… mais du coup, c’est possible d’avoir les plantes gratuites et des outils à prêter ? »

« Oui, j’accepte ton invitation de manger chez toi gratuitement ! La seule chose qui me tracasse c’est… est-ce possible pour toi de venir me chercher en voiture ? Comme ça, c’est mieux, on consomme moins d’essence, pour… euh… la planète… »

Continuer à lire … « L’étrange Noël de Mr. Lupine »

Décompte de Noël – partie 1 [HS]

« -C’est lui ?

-Bien sûr que c’est lui ! Regarde, il est encore en train d’écrire un autre article…« 

Les deux êtres qui discutaient ainsi étaient vêtus de vert et de rouge de la tête au pied mais c’était justement cela qui choquait… « De la tête au pied pour eux » équivalait à deux décimètres à peine. Tandis qu’ils parlaient, leurs chapeaux pointus reposant sur des oreilles qui ne l’étaient pas moins et s’entrechoquant à chaque fin de phrase, ils observaient attentivement un individu poilu encore en pyjama à cette heure tardive et s’affairant devant un écran livide. L’humain, car on ne pourrait guère considérer nos deux autres protagonistes comme tel, semblait en proie à la plus vive agitation tandis qu’il réfléchissait à voix haute sur la meilleure manière de conclure l’article en cours de rédaction.

« –Mmm… Je mets une référence à Kaamelott ou à Jurassic Park ? Oh ! Et puis flûte à six schtroumpfs ! Je place les deux : « En garde, espèce de vieux T-Rex dégarni ! » Et hop ! Voilà qui clôture l’article sur l’élevage de lynx en milieu urbain. Allez… un texte pour Promesse de fleurs maintenant… »

A ces mots, nos deux petits farfadets, perchés en haut d’une bibliothèque, sursautèrent.

« –Tu entends, cette fois le doute n’est plus permis !, souffla le premier.

Oui, attrapons-le…, répondit le second. »

Ce dernier farfouilla dans sa poche et en ressortit une minuscule boule à neige tenant à peine dans sa minuscule main. Il la soupesa une seconde puis, d’un geste précis, la jeta au sol à quelques centimètres à peine des pieds de notre héros. La boule éclata en mille miettes, libérant une fumée épaisse et suffocante.

L’homme velu n’eut pas le temps de réagir et sitôt les premières volutes aspirées, il s’écroula bien vite en suffocant (ndlr : vous voyez!). Il tomba peu à peu dans les bras de Morphée pour un long, long sommeil…

« -Emballez, c’est pesé !, se félicita le premier des petits elfes.

-On l’embarque et on l’amène au Patron…

-Attends je lui jette un sort de réduction d’abord… »

 

Le lendemain matin…

Une odeur de chocolat chaud émoustilla les narines du corps qui se lovait dans une couette douillette (cacahuète !) aux motifs de paysages hivernaux. Un petit elfe le regardait fixement de ses grands yeux d’onyx, tandis qu’il se balançait sur sa chaise en fumant une pipe sculptée en écume de mer. Une pipe dont le décor représentait un attelage de rennes s’envolant dans les cieux.

« -Bien dormi ?, lança-t-il au dormeur.

Oui et non… – le « dormeur » s’étira et grimaça puis soudain, comme s’il ne se rappelait qu’à l’instant ce qui lui était arrivé, il lança d’un ton sec – Mais où suis-je ? Et pourquoi m’avez-vous enlevé ?

Où vous êtes, vous n’allez pas tarder à le savoir. Pour le reste, tout ce que je peux vous dire est que nous avons besoin de vous pour un travail très précis.

Mais de quel « travail » parlez-vous ?

C’est pile dans vos cordes… – l’elfe sourit et une lueur mauvaise traversa ses obscurs iris – Mais levez-vous et suivez moi !

-Attendez, je ne suis même pas habillé…, protesta l’homme.

-Prenez ceci…, le petit elfe indiquait de son index tordu une chaise en bois recouverte d’un habit rouge et blanc.

-Mais qu’est-ce que c’est ?

-Le dernier costume de votre vie.

-J’aurais préféré un trois pièces de chez Hogo Buss, ou Irmana à la rigueur, mais bon… Dites… Vous vous rendez compte que vous venez de sortir deux répliques de films en moins de trente secondes ?

-En période de Noël, il y a beaucoup de rediffusions de bons films. C’est le moment d’en profiter. Allons suivez-moi ! »

Une fois affublé de cet ersatz de costume ridicule de père noël, bien trop grand pour lui, notre héros suivit l’elfe et sortit à sa suite de la chambre.

« -Au fait, je ne connais même pas votre nom.

-Je m’appelle Samistrophinskyeurson. Mais tout le monde m’appelle « Sam ».

-Sam me suffit… Et je… comment dire… C’est assez délicat… Mais qu’êtes-vous donc ? Un elfe ? Un lutin ? Un farfadet ? Un… euh… un troll ?

-Un peu tout cela à la fois. Beaucoup de légendes humaines parlent de nous. Vous nous avez donné une multitude de noms différents suivant les époques et les folklores. Par chez vous, je crois que vous nous appelez « nutons ». C’est bien cela ?

-Plus ou moins, oui. Et donc, vous existez réellement alors ?

-Bien entendu ! Depuis quand les légendes disent des mensonges ? Seuls vos journalistes le font…« 

Tandis qu’ils conversaient en marchant, nos deux personnages déambulaient dans un large corridor illuminé de milles décorations colorées et chatoyantes. Ils rencontraient ça et là d’autres petits lutins qui semblaient fort affairés bien que chacun, malgré l’empressement, se fendit d’un tonitruant « Bien le bonjour ! » ou d’un simple « Je suis fort aise de vous rencontrer » à l’égard de notre héros. Ce dernier fort de sa perspicacité légendaire, en venait tout doucement à cette conclusion si inouïe soit-elle : nous nous trouvions présentement dans… la maison du Père Noël.

« -Dites, on se croirait dans la maison du Père Noël (ndlr : oui, bon ça je l’ai déjà dit!)… Ne me dites pas que nous sommes chez lui… Au Pôle Nord.

-Tout à fait ! Enfin, nous ne sommes plus au Pôle, il commençait à y faire trop chaud. Nous avons délocalisé notre activité du côté du Québec.

-Mais alors ça veut dire que… – notre héros jeta les yeux au plafond, décoré d’une fresque représentant un sapin orné de pommes et d’oranges – Ah oui, j’ai compris… On approche de noël, c’est donc la saison des contes de Noël gnangnan. Je le sens venir à des kilomètres vot’truc là. Je vais devoir remplacer le Père Noël et …

-Remplacer le Patron ?! Ah mais vous ne doutez de rien mon p’tit vieux ! Vous vivez en pleine féerie !

-Fit un lutin du père Noël…

-Plait-il ?

-Non rien…

-On vous a pris uniquement pour une mission ponctuelle et très précise. Mais justement le Boss va vous en parler, nous sommes arrivés devant son bureau.« 

En effet, nos deux héros se trouvaient devant une lourde porte de chêne arborant fièrement une inscription cerclée de cuivre qui ne laissait planer aucun doute quant à son propriétaire : « Santa Claus »

« -Espérons qu’on ne trouvera pas porte « Claus »… Eh eh !, lança Olivier (car c’était bien lui!). »

Le nuton ne réagit pas et le fixa de ses deux gros yeux noirs sans mot dire.

« -Non mais c’est un jeu-de-mots… Porte close… Santa Claus… C’est euh… Enfin voilà quoi…, tenta d’expliquer votre blogueur préféré.

-Bref ! »

L’elfe toqua à la porte. Un étrange borborygme lui répondit et ils entrèrent dans la pièce.

Devant une large fenêtre donnant sur un paysage hivernal envahie par la neige, trônait un siège ouvragé dans lequel reposait un vieux bonhomme tout de vert vêtu. A chacune de ses profondes respirations, les bibelots et jouets, posés en vrac sur son bureau, semblaient s’agiter comme animés d’une vie propre.

« -Mais il dort, le père Noël, là…, chuchota Olivier à l’oreille de Sam.

-Ne le brusquez pas, il n’est plus tout jeune.

« PROUT »

-Non mais c’est moi ou il vient de lâcher une énorme caisse ?!, s’indigna l’humain.

-Faites semblant de rien !, le réprimanda le petit nuton.

-Mgmm… Non, Rudolphe laisse moi dormir encore un peu !

-Ce n’est pas Rudolphe, votre Seigneurie -intervint le lutin – C’est moi Sam. Je vous amène « qui vous savez ».

Mmm… – Le père Noël ouvrit un œil et s’extirpa de sa torpeur, son visage s’illuminant – Ah ! Ah oui ! Nature Lupine, c’est cela.

-Euh… oui.

-J’ai beaucoup apprécié votre dernier article.

-Celui avec Jane Bomb ?

-Non

-Le petit post-it ?

-Non, non, il s’agit bien de ces sottises ! Ceux-là étaient nuls comme d’habitude… Mais plutôt de l’article portant sur les « meilleurs cadeaux de noël pour les jardiniers » chez votre nouvel employeur.

-Ah oui mais non… Celui-là n’était pas de moi, mais d’Ingrid ma… euh… chef… je crois…

-Mais ce n’est pas vous, tous ces articles intéressants sur la botanique, le jardin, …

-Ah mais, nous sommes très nombreux en réalité. C’est même inquiétant d’ailleurs… Il en sort tous les jours un nouveau rédacteur. C’est à croire qu’ils se reproduisent… Quelqu’un a dû jeter de l’eau sur le premier et puis boum ! Pleins de petits rédacteurs-mogwaïs partout.

-Le tout est de ne pas leur donner à manger après minuit, intervint Sam.

-Mais l’idée de la brouette, ce n’était pas vous ?

-Oui, ça c’était moi. C’était une blague à la base… Imaginer une brouette emballée sous un sapin me faisait beaucoup rire mais elles m’ont pris au sérieux et l’ont rajouté dans l’article. Il faudrait vraiment que les gens arrêtent de me prendre au sérieux… »

Le père noël et son sous-fifre se regardèrent un instant, l’air affligé.

« –Qu’est-ce qu’on fait, patron ! On le renvoie dans son monde ou on le garde quand même ?

-Tant pis, nous n’avons plus le temps de toute manière. Nous sommes déjà le 23 décembre. – répondit le Père Noël. Puis tel un général d’entreprise, il lança d’un ton sec – Jeune homme !

-Jeune homme… jeune homme… J’ai trente-et-un noël quand même… Bientôt trente-deux.

Jeune homme ! – répéta le vieil homme – vous êtes notre seul espoir pour délivrer des cadeaux qui plairont à ces drôles d’individus que vous, les humains, appelez des jardiniers. Vous ferez équipe avec Sam pour trouver les meilleures idées. Je compte sur vous ! Noël, cette année, dépendra un peu de vous ! »

 

Notre héros pourra-t-il sauver à temps le noël des jardiniers ?

Pourra-t-il faire équipe avec un elfe qui n’apprécie pas son humour ?

Sera-t-il payé en boules de noël ? (si tel est le cas, j’ai déjà une acheteuse…)

Ce petit conte n’est-il pas une énième tentative puérile de chasse aux lectrices comme le font les autres blogueurs (le prochain article portera sur les licornes ou les chatons) ?

Vaut-il mieux dire Hydrangea anomala subsp. petiolaris ou juste Hydrangea petiolaris ?

Un Soto uke permet-il d’arrêter un Oï tsuki shudan aussi bien qu’un Yoko geri kekomi ?

Vouloir une montre à gousset en argent à notre époque fait-il de moi déjà un vieux con ?

Si on souhaite un boomerang neuf, comment se débarrasser de l’ancien ?

Selon les statistiques, une personne sur cinq est complètement dingue. Les quatre personnes qui se tiennent à côté de moi me semblent normales (en plus ils portent un tablier blanc), dois-je m’inquiéter ?

Vous n’aurez quasiment aucune réponse à toutes ces questions dans la deuxième partie de ce… décompte de Noël.

A suivre… Décompte de Noël : partie 2 [HS]

 

ALLARD Olivier