Avis Garden [89]

« -Monsieur va prendre froid ainsi assis sur cette terrasse en plein vent…« 

L’homme qui venait de sortir cette évidence déposa avec une raideur toute britannique un plaid à carreaux sur les genoux d’un individu velu à la verticalité contrariée. Ce dernier semblait se perdre dans la contemplation d’images d’êtres photosynthétiques de toutes les couleurs.

« –Mmm… Désolé Jasper – répondit ce dernier – je rêvassai sur les belles photos du livre de Cédric Pollet sur les jardins en hiver. Quel formidable ouvrage ! Des cornus sont présentés à quasiment toutes les pages… Sans compter les Acer, les conifères et les bruyères. (ndlr : Poil au… )

-Sans doute, monsieur… Je vous ai amené une couverture et… un message d’une certaine Isabelle…

-Celle des roses et des énigmes abracadabrantesques ?

-Non, monsieur.

-Celle des guides nature ?

-Encore moins.

-Celle de mon précédent job ?

-Pas du tout.

-Celle qui travaille chez mon garagiste ?

-Prrrt !

-Celle de l’épicerie du coin ?

-Nope !

-Ah ! Celle qui a un nom de famille composé champêtre mais aquatique à la fois ?

-Non, encore une autre. Regardez plutôt !

-Mais qu’est-ce qu’elles ont toutes à s’appeler Isabelle en ce moment ?! Et puis d’abord « Pluto », c’est le chien de… Bon bref…« 

Jasper tendît une tablette numérique et sur l’écran on pouvait y lire cette simple injonction en lettres capitales.

J’attends votre article tous les dimanches matin. Continuez !

« -Ah !

-Vous voyez bien qu’il faut vous y remettre, monsieur.

-Bah oui, si c’est carrément un ordre, là, je ne peux y couper.

-De plus, j’ai une mauvaise nouvelle…

-Plait-il ?

-Euh… Francis Peeters…

-Et bien quoi Francis Peeters ?

Il va se lancer corps et âmes dans un nouveau blog. Et vous le savez qu’il est plus populaire que vous ? Et vous avez les mêmes lectrices… Cela risque, à n’en pas douter, de vous porter préjudice.

-Le p’tit chameau ! Branle-bas de combat, Jasper ! Tout le monde sur le pont ! On se retrousse les babines ! J’ai été trop longtemps oisif, vous avez raison, je me dois de réagir !

-J’aime vous voir comme cela, monsieur ! – Jasper affichait un large sourire absolument continental, le majordome prenait très clairement de mauvaises habitudes depuis qu’il avait quitté le Devonshire pour le pays de la bière et du surréalisme – Je cours aussitôt chercher la liste des « idées d’articles à réaliser un jour peut-être ou pas» épinglé sur votre ‘Rembrandt’ ?

-Non, cette fois-ci, je vais laisser travailler mon instinct légendaire et me balader simplement dans le jardin. J’y trouverai sans coup férir (ndlr : ou « fais rire » !) une bonne idée. »

 

Notre héros, car c’était bien lui, n’eut pas l’occasion d’aller très loin parmi les allées enneigées de sa propriété. Son attention fût pour le moins attirée par un homme courbé sur le manche d’un outil et dont la tête  était recouverte d’un chapeau de cuir sans aucun doute plus vieux que lui-même d’où s’échappaient des volutes de fumée à intervalles réguliers.

« -Quel est donc ce triste individu, bayant aux corneilles, qui semble ne tenir debout qu’à l’aide de cette bêche, qui me parait bien être la mienne d’ailleurs ?, s’étonna le maître des lieux.

-C’est Sigmund, votre nouveau jardinier. Il préfère qu’on l’appelle Siggy…

-Mon nouveau jardinier ? Mais il est pratiquement décédé ! Et puis depuis quand j’ai un jardinier ?!

-Il m’a paru extrêmement compétent lors de l’entretien d’embauche que je lui ai fait subir. Il m’a proposé un plan de massif réalisé uniquement à l’aide de cornouillers et…

-Mais, c’est quelqu’un de très bien ! Qu’est-ce que vous avez à lui reprocher encore ?

-Mais…

-Il suffit. Allons lui signaler mon illustre présence.

Les deux compères approchèrent sans discrétion de l’homme à la bêche.

« –Dites-moi mon brave, je…

-Chut !!

-De quoi ? Comment « chut » ? Vous vous fichez de moi ?

-Chuutteuh !! Vous allez faire peur aux oiseaux !

-Mais… Oh bah oui tiens ! Je n’avais pas vu qu’on avait installé des mangeoires.« 

En effet, à quelques mètres des trois hommes avaient été placées des mangeoires en bois et des silos grillagés remplis de graines. C’était le théâtre d’un ballet incessant d’une foultitude d’oiseaux multicolores et bigarrés. Chamailleries et disputes étaient légions, parfois même au sein des fratries.

« -Ils ont besoin de nourriture en ce moment.

-Des boules de graisses ? »

En guise de réponse, l’homme au chapeau au cuir élimé tira par deux fois sur sa pipe avant de lâcher :

-Bof… Surtout pas celles achetées en magasin en tout cas. Faites en vous-mêmes si possible… Et pas de filet en plastique autour surtout ! Les oiseaux se prennent parfois les pattes dedans. De plus, la graisse ou végétaline n’est physiologiquement pas une bonne nourriture pour les oiseaux. Et ça peut même leur apporter des maladies.

-Vous avez mis quoi alors ?

-Le mieux reste simplement quelques noix et cacahuètes et surtout des graines de tournesol.

-Et c’est tout ? Pas de pain ou des petits vers ou…

-Non, non non : rien de tout cela ! Mais, il leur faut aussi de l’eau dans des soucoupes avec une petite balle de ping-pong qui bouge avec le vent et évite ainsi qu’elle ne gèle trop rapidement.

-La balle ?

-Non l’eau…« 

sip with me (2)
Juste des graines de tournesols et quelques cacahuètes suffiront. Oubliez les boules de graisse !

Les oiseaux divisés désormais en deux groupes distincts, mésanges et pinsons d’un côté et moineaux de l’autre, commençaient réellement à se mettre sur le bec, façon Rocky contre Apollo.

« -Ils se chamaillent un peu là, non ?

-Oui, et il est temps que je remette des graines, on dirait qu’ils n’en ont presque plus. Quand on se lance à nourrir l’hiver, il ne faut pas arrêter. Bien que selon certains éthologues, les oiseaux se rendent vite compte qu’ils n’auront plus rien et partent à la recherche d’une autre nourriture mais évitons quand même les risques. 

-Pourquoi ne pas mettre une grosse dose d’un seul coup ? Vous ne devriez pas en mettre deux fois par jour. Et à plusieurs endroits du jardin en plus… »

Siggy tira encore deux fois sur sa pipe avant de répondre.

« –Il ne faut pas que les graines moisissent ou prennent l’humidité. C’est dangereux pour les oiseaux. Et oui, j’ai placé des mangeoires et des silos un peu partout dans le jardin. Cela attire moins les prédateurs sur une seule mangeoire et ça permet de nourrir plus d’espèces d’oiseaux différents en fonction de l’endroit du jardin dans lesquels ils sont placés.

-Les prédateurs ? L’épervier ?

-Surtout oui… Mais il faut bien qu’il mange lui aussi.

-Et les chats ?, s’avança fébrilement notre sympathique majordome so british.

-Taisez-vous Jasper ! (ndlr : ça va pas recommencer encore cette histoire avec les chats !) Ah tiens, l’accenteur est passé mais il a l’air de s’en fiche éperdument de vos graines. Ce troglodyte aussi. Et les mésanges à longue queue, mis à part nous tourner autour en faisant des petits cris comiques, elles n’ont pas l’air de s’en tracasser non plus.

Ils ne viennent pas tous à la mangeoire. Ce sont surtout les granivores et les omnivores qui iront : mésange charbonnière et bleue, verdier, chardonneret élégant, pinson des arbres et du Nord, moineaux domestiques et friquet, gros-bec casse-noyaux, bouvreuil pivoine, … Et même parfois, des oiseaux qui font des entorses à leur régime… Tel ce pic épeiche mâle, juste-là.

-Et les autres ? »

Deux volutes de fumée sortirent encore de la bouche de Sigmund avant qu’il ne se lança à répondre.

« –Ils sont partis en migration, comme la plupart des purs insectivores ou se débrouillent bien sans nous comme les carnivores, corvidés comme rapaces. Mais avec le réchauffement climatique, on commence à observer des migrateurs purs qui restent dans nos contrées car ils trouvent encore de quoi se nourrir, c’est le cas notamment du Pouillot véloce depuis quelques années. A contrario, nos hivernants habituels semblent moins rapidement délaisser leurs pays nordiques. Cette année, je n’ai eu que deux Pinsons du Nord… Et les Jaseurs boréal, là, on oublie totalement…

sip with me (1)
Quelques petites bêtes à plumes que vous pouvez rencontrer au jardin en hiver.

-Tiens, je me demandais justement…

-Dites.

-Les migrateurs qui reviennent affaiblis au printemps ne risquent-ils pas d’être désavantagés par rapport à ces gros bouffis qu’on engraisse aux mangeoires ?

-D’après certains spécialistes, c’est un risque. Sans compter qu’on contrecarre un peu la sélection naturelle en permettant des nichées d’oiseaux qui seraient morts sans notre intervention. Mais si on ne fait rien du tout, ce sont ceux que nous avons devant nous en ce moment qui seront dans une mauvaise posture.

-Vous comptez les nourrir comme ça toute l’année ?

-Non, j’arrêterai lorsque viendra les beaux jours en mars, pour recommencer en novembre. Certains nourrissent toute l’année, sans qu’il n’y ait réellement d’impact négatif mais en saison, il y a suffisamment à manger pour les oiseaux au jardin.

-Les insectes, les araignées, les autres bestioles avec pleins de pattes ou pas du tout…

-Et cette grosse haie d’arbustes à baie, indigènes ou non, que vous aviez planté avant que je ne reprenne le jardin. Bonne idée !  En plus lors de la floraison, ils attirent les insectes aussi. Sans compter cet enchevêtrement de rameaux épineux qui permet d’obtenir plusieurs nichées sur l’année, et ce en toute tranquillité.

-Et mon lierre !

-Et les vivaces, annuelles et graminées qu’on laisse monter en graine et qu’on « oublie » en hiver. C’est parfait aussi ! 

-Ah je me demandais justement pourquoi ce jardin avait l’air en friche… Je m’apprêtais à vous lancer un regard lourd de reproche…

-C’est fait pour ! Même cet arbre mort est laissé exprès, pour les cavernicoles comme les étourneaux par exemple. Mais on peut garder l’espoir de voir un petit couple de Chevêches d’Athena y trouver refuge. Il faut aussi continuer de laisser les mousses et les lichens sur les arbres pour la fabrication des nids et pour les insectes qui s’y réfugient.

-Et un bon paillage un peu partout. D’ailleurs… »

sip with me (3)
Abri et nourriture, c’est tout ce dont les oiseaux ont besoin. Des baies, des bestioles à manger, quelques plantes montées en graines et des rameaux épineux. Si vous pouvez en plus y ajouter une petite mare : ce sera le paradis pour eux.

Notre brave blogueur n’eut pas le temps de finir sa phrase car une furie aux cheveux de feu venait de surgir de la neige et s’agitait frénétiquement tel un ozonateur à recirculateur venturi que l’on aurait bêtement branché sur du triphasé (ndlr : et ce malgré le fait que l’ingénieur en charge du projet avait bien mis une pancarte !).

« -Wouhou !!! Attendez-moi ! Je vous apporte un truc, un machin…, s’égosilla la rouquine.

-Mais chuuuteu !!! Cette damnée va faire peur aux oiseaux, bon sang de bois ! Quelle est donc cette furie rousse qui fonce vers nous tel un bulldozer rutilant ?

-C’est ma nièce, monsieur. Je me suis permis de la prendre sous mon aile pour un stage chez vous, répondit Jasper.

-Et vous comptiez m’en parler quand ?

-A vrai dire, je ne comptais pas vous en parler du tout et espérais qu’elle soit plus discrète durant son séjour. 

La nièce de Jasper arriva essoufflée mais néanmoins sautillante près des trois hommes. Elle leur tendit une petite carte sur bristol.

« -J’ai un message pour vous. Mais il n’y a qu’un dessin bizarre et une adresse. 

-Une chauve-souris stylisée ? Et juste une adresse au dos de la carte ? Quelle étrange énigme… Mais j’y pense, Jasper, le voilà le sujet du prochain article  : les chiroptères ! Depuis le temps que je dis qu’il faut que j’écrive sur ces bestioles. »

S’en était trop pour la nièce de Jasper. Sa patience s’évanouit d’un coup pour ne plus laisser place qu’à une surexcitation sans limite. Elle ne tenait réellement plus en place :

« -Super ! Je cours chercher vos affaires et je fais chauffer le moteur de la chouette voiture jaune dans le garage ! »

Et la voilà qui s’encoure vers la maison en zigzaguant à l’aveuglette parmi les branches rouges, jaunes ou oranges des multiples cornouillers du jardin.

« -Elle est très… énergique et… motivée, fit observer Nature Lupine.

Certes, répondirent en chœur Sigmund et Jasper.

-Et comment se nomme cette charmante jeune femme ? Ah ! Ne me dites pas qu’elle s’appelle Isabelle, elle aussi !

-Non, elle a pour nom : Gwendoline. Mais si j’étais vous, j’essayerais de la rattraper car la chouette voiture jaune dont elle faisait allusion à l’instant et sans nulle doute…

-Oh bon sang ! La Ferrari ! »

 

ALLARD Olivier

 

Pour ceux qui n’ont pas la chance d’être belge, la LPO organise ce weekend le comptage annuel des oiseaux de jardin. Plus d’infos, par ici.

Pour ceux qui n’ont pas la chance d’être français, Natagora organise le weekend prochain (2 et 3 février) la même chose. Plus d’infos, par ici.

Et pour ceux qui sont à cheval sur la frontière, nous organisons au CRIE d’Harchies, notre journée événement familiale le dimanche 3 février aux marais d’Harchies sur le thème des oiseaux. Plus d’infos, par ici.

Et pour en savoir plus sur le comment et le pourquoi d’aider les oiseaux au jardin, je vous propose la lecture d’un bon livre de Benoit Huc intitulé « Accueillir les oiseaux au jardin » aux éditions Ulmer. N’hésitez pas à chercher aussi Benoit sur Facebook, ses photos d’oiseaux sont magnifiques.

La prochaine glaciation…

-Dites chef, ils n’ont plus l’air d’avoir peur des terroristes, des attaques de pangolins albinos ou de l’annulation de la coupe de monde de foot…

-mmm…

-Faut qu’on trouve très vite une autre idée, chef ! Sinon, on va perdre le contrôle sur eux.

-Le froid !

-Quoi le froid ? On va dire qu’il va faire froid, c’est ça ?

Continuer à lire … « La prochaine glaciation… »

Bardaf ! ou le sauvetage de Miss Nisus

 

« BANG »

Ce bruit terrible, provenant de la vitre-observatoire nous extirpa soudainement de notre torpeur.

Oui, c’était le repas du midi et nous avons parfois tendance à torper un peu… Surtout au moment de la digestion… On ne peut vraiment plus torper tranquille nulle part maintenant !

Nous nous précipitâmes (en seulement quelques minutes…) vers l’endroit du sinistre.

Continuer à lire … « Bardaf ! ou le sauvetage de Miss Nisus »