Baguette de cornouiller [HS]

On me demande souvent d’où peut bien me venir un tel amour immodéré, et définitivement immodérable malgré les injonctions de mes proches et de mon banquier, des cornouillers. Il est temps que je vous dévoile enfin toute l’histoire. C’était il y a de cela bien des années…

Un grand type barbu et chevelu, à une époque où je n’arborais fièrement moi-même qu’une dizaine de poils sous le menton, m’avait apostrophé dans une jardinerie. Il arguait qu’étant donné ma passion pour le jardin et mon goût de l’écriture, je devrais me lancer en tant que blogueur et oublier définitivement mes rêves d’écrire un jour un livre conséquent, un roman ou un scénario de bande-dessinées. Il fût sortit sans ménagement par deux employés du magasin qui n’avait vu en lui qu’un énième clochard venu se réchauffer au coin d’un feu de bois artificiel, mais il pût, tout de même, me glisser dans la main un ticket de train pour… une convention de blogueurs sans frontière « jardin et nature ».

Dans le train qui menait à l’endroit où se déroulerait cette réunion, je fis la connaissance de quelques individus, parfois drôles, souvent intéressants et occasionnellement fantasques. Certains, sur le temps du trajet, commencèrent déjà à compter parmi mes amis. Mais la plupart était déjà, soit des fans, soit des gens dont les oreilles avaient eu vent de ma légende. J’étais en réalité plus connu que je ne le pensais moi-même.

« –Mais c’est vous Nature Lupine ! Le mal-rasé !, s’enthousiasma la première.

Oh, vous faites déjà des articles ? Oh ben ça alors !, s’étonna un deuxième totalement débutant dans le blogging.

-Vous êtes mon blogueur préféré !, s’exclama la troisième.

Cependant l’une des blogueuses avec un air hautin entra comme une furie dans le compartiment que j’avais choisi alors que nous discutions moi et l’une de mes nouvelles connaissances de la meilleure manière d’aborder simplement et efficacement le complexe argilo-humique dans un article.

« -Ah, tu écris un article !, apostropha-t-elle aussitôt mon camarade.

-Euh oui, je te montre… Euh, alors, ce qu’on doit savoir dans le complexe argilo-humique, c’est que… euh…, débuta maladroitement celui-ci.

Je vois… On ne peut pas dire que ce soit une réussite ! Moi, je n’ai écrit que des articles simples jusqu’ici mais ils ont été lus à chaque fois… Hum ! »

Puis elle sortit comme elle était venue, nous laissant tous les deux cois.

 

Arrivé à destination, il s’avérait que l’organisateur du colloque avait mis les petits plats dans les grands. L’endroit en effet, un gigantesque château placé au centre d’un lac ne pouvait être abordé qu’en barque. Ce qui ajoutait encore au charme suranné de ce monument historique.

Hélas, sitôt entré, je n’eus pas le loisir de contempler les collections d’œuvre d’art et d’antiquités qui s’amoncelaient à l’intérieur du château tel une caverne d’Ali Baba car quelqu’un me héla derrière moi.

« -Ainsi donc, c’était vrai ce qui se disait dans le train. Nature Lupine est présent au colloque…

-Laisse-le tranquille, toi !, intervint une des personnes que j’avais rencontré dans mon compartiment. »

Celui qui m’avait interpellé de la sorte sembla regarder avec dédain de la tête au pied, le jeune blogueur qui venait de prendre ma défense.

« -Mmm… Des cheveux en batailles, un vieux pull tricoté et une bêche de seconde main ? Inutile de te demander sur quelle thématique tu écris ! Tu tiens un blog de permaculture, n’est-ce pas ?« 

Puis se tournant vers moi, il me lança :

« -Tu verras bien vite que certains types de blogueurs valent mieux que d’autres. Pour éviter les gens douteux, je peux te donner quelques conseils.

-Je n’ai besoin de personne pour savoir qui sont les gens douteux, répondis-je sèchement. »

Nous n’eûmes pas le temps de nous frapper sauvagement le visage, selon la coutume, avec des sarments de vigne qu’une dame à l’âge incertain nous interrompit et nous présenta une partie du  programme de la journée. Son laïus terminé, elle nous invita à la suivre dans une grande salle dont le plafond était décoré de nombreux commentaires positifs et encourageants, de likes et de notifications de partages.

-Ce ne sont pas des vrais commentaires bien sûr ! C’est un plafond magique qui ne montre pas la réalité. Je l’ai lu dans l’Histoire des réseaux sociaux, expliqua la fille du train.

Mais notre groupe s’était arrêté pour écouter la vieille dame en robe verte.

« –Vous allez bientôt passer sous le choixpeau de paille qui vous indiquera votre futur maison pour le séjour que vous passerez chez nous.  Les différentes maisons sont représentées par un genre d’arbuste symbolisant les différents styles de blog. Cela nous permettra de vous trier et de créer des groupes qui s’entendent plus ou moins bien… Je vais maintenant vous appeler un par un et vous vous placerez sous le choixpeau de paille, c’est lui qui décidera dans quelle « maison » vous irez. Elles ont pour nom Rosaigle, Rhododendroufle, Hydrangeard et… oh puis flûte, le choixpeau vous expliquera ça mieux que moi. »

Tout le monde se succéda rapidement sous le choixpeau de paille. Le blondinet de tout à l’heure fût aussitôt et sans hésitation envoyé vers hydrangeard. Une fille habillée tout en rose fût transférée chez Rosaigle. Pour d’autres, le choix du choixpeau de paille semblait plus délicat, et il lui fallait parfois plus d’une minute pour savoir dans quelle maison envoyer un jeune blogueur. On en reconduit même une à la porte car elle semblait s’être perdue chez nous, son blog ne parlant que de voitures de sport… Puis se fût mon tour… Je me plaçai sous le choixpeau comme on me l’avait ordonné non sans une certaine appréhension. « Et si je n’étais pas assez bon pour écrire sur un blog ? » « Si on me renvoyait chez moi illico presto ? »

« –Je vois… Assez peu de courage mais des qualités intellectuelles aussi. Et beaucoup de mauvaise foi. Il y a du talent, c’est indéniable. Et un grand désir de faire ses preuves… Mais trop de fainéantise pour pouvoir percer réellement. Alors où vais-je te mettre ?

Pas à hydrangeard… Pas à hydrangeard…, suppliais-je.

-Pas à Hydrangeard n’est-ce pas ? Tu es certain ? Tu as d’immense qualités, tu sais. Et surtout une arrogance sans limite. Je le vois dans ta tête… Et Hydrangeard te permettrait d’avancer sur le chemin de la grandeur. Cela ne fait aucun doute…

-Pas à hydrangeard… Pas à hydrangeard…. Tout sauf hydrangeard…

-Bon… Si tu es sûr de toi… Il vaut mieux…

Cornouilledor !!

-Lupine avec nous ! Lupine avec nous ! »

Le groupe des Cornouilledors explosa littéralement de cris de joie. Toutes les personnes attablées m’accueillirent à grand coup de tapes dans le dos et de serrages énergiques de main. Je reconnus à cette table, le gars avec qui j’avais sympathisé dans mon compartiment et la fille du train qui me sembla déjà un peu moins hautaine. Je m’asseyais à côté d’eux. et soufflais un grand coup. Non seulement, on ne me reconduira pas chez moi, mais de plus, j’étais immédiatement accepté dans leur maison. Ce colloque commençait plutôt bien…

 

Voilà toute l’histoire. Ça s’est plus ou moins passé comme ça… A peu de choses près…

 

ALLARD Olivier

Les aventuriers de la bernache perdue

L’ombre formée par la canopée était telle qu’il était difficile de distinguer le jour de la nuit. Tout près de nous, un volatile nous salua par son chant tropical, trouant le vacarme assourdissant qui règne généralement dans la forêt tropicale.

Je relevai mon chapeau et m’épongeai le front avec un mouchoir sale pour la centième fois sans doute depuis que nous arpentions cette jungle. La chaleur était accablante et une moiteur sordide nous trempait les vêtements.

Les moustiques qui tournoyaient autour de nous en une gigantesque sarabande, semblaient nous trouver particulièrement à leur goût. Paquito, mon fidèle sherpa, portait déjà tous les signes de la malaria. Ou alors, était-ce simplement de la fatigue ? Il est vrai que nous étions déjà en route depuis près de quarante minutes.

Il jura et cracha par terre puis me lança avec un air lourd de reproche (ce même air que je venais de lui apprendre…) : –Seńor, si no retrouva una pista rapido, estamo en merda, puta de madre …(si nous ne retrouvons pas un indice rapidement, nous serons dans la panade jusqu’au cou, fichtre…).

Je ne lui fis pas de réprimande pour sa remarque grossière (après tout, tout le monde n’avait pas eu l’éducation que j’avais reçu étant jeune…) et pris cela pour un moment d’égarement relatif à la fièvre qui lui rongeait les sens. Mais il avait néanmoins raison sur le fond. Déjà deux bonnes minutes que nous arpentions en long et en large cet endroit et… rien. Pas la moindre petite piste.

Le vieil homme qui nous avait guidé jusqu’ici, avant de nous abandonner à notre triste sort lorsqu’il avait découvert une photo plastifiée de statuette primitive accrochée à un arbre, avait été formel : « Allez jusqu’à l’endroit hanté. Et de là, suivait le boudin… ».

Qu’avait-il voulu dire ?

Mac Paquintosh, mon fidèle sherpa des Highlands, avait tout d’abord paniqué en entendant le mot « hanté ». En effet, en tout bon écossais, il était très superstitieux et ne prenait pas ces choses-là à la légère…

Devil !, éructa-il, we are with holy ghosts on our arms ! (Flûte, nous ne sommes pas sortis de l’auberge…) Et sur ces propos, il but une lampée de sa gourde en peau de pécari qui ne contenait assurément pas de l’eau.

Mais je compris assez vite, grâce à mon intelligence hors du commun, que le vieillard n’avait pas fait allusion à de quelconques spectres ou esprits qui auraient pu veiller sur l’endroit. Non ! Il avait voulu dire en « T ». Nous étions donc bien au bon endroit, restait à comprendre l’énigme…

Sur la droite, un chant d’oiseaux explosa d’une telle façon que moi-même et Paki Hito, mon fidèle sherpa japonais, nous sursautâmes de concert. Ce chant, cette litanie, cette mélopée me disait assurément quelque chose… Mais bien sûr ! Cela ressemblait étrangement au chant guerrier « Tiens voilà du boudin ! ».

Nous devions donc partir à droite. Rassérénés par cette nouvelle découverte, nous entreprîmes alors de prendre le chemin à notre dextre. Celui-ci se révélait particulièrement difficile à parcourir. Des lianes épaisses comme mes bras nous barraient souvent la route et mon fidèle sherpa elfique, Pakitolas, devait jouer régulièrement de la machette pour que l’on puisse continuer notre progression.

Nous arrivâmes alors au bord d’une large surface plane, d’une étrange couleur métallique et qui réverbérait le soleil, tel un gigantesque miroir. C’était de l’eau. Et nous comprimes alors que nous aurions dû rester sur le chemin car nous n’étions clairement plus dans la bonne direction. J’eus soudain l’idée de génie d’utiliser une technique apprise jadis lors de mon entraînement dans les forces spéciales : la technique dite du « rebrousse chemin ».

Nous retrouvâmes finalement notre route. Non sans avoir déchirés nos vêtements dans les épines des buissons. Et c’est donc en caleçon que nous continuâmes notre exploration.

Mais une sourde inquiétude me tenaillait les entrailles depuis un moment. Ce n’était rien de plus qu’une angoisse fugace mais néanmoins persistante. Quelque part dans la végétation, j’eus l’impression que des dizaines d’yeux nous scrutaient. J’agitais violemment la tête et essayer d’oublier cette impression. Je ne voulais pas inquiéter davantage Paquinton, mon fidèle sherpa jardinier. D’autant plus que j’étais presque certain que ce n’était que le fruit de mon imagination.

Nous arrivâmes alors devant une sorte de digue traversant deux étangs. J’interrogeai mes souvenirs et compris, le vieillard nous en avaient parlé sur ces termes :  « A gauche ou bien à droite, si tu tombe, tu te mouille…« . Nous touchions enfin au but…

Mais ce que nous vîmes alors nous figea sur place. La vision qui s’offrait à nous à cet instant nous glaça le sang. Devant nous, trois chevelures couleurs de feu s’agitaient autour d’un tas de pierres dans ce qui aurait pu passer pour un rituel de passage à l’âge adulte des indiens kimanjkoi. Mais il n’en était rien. Nous contemplions plutôt une scène de liesse entre mes plus terribles ennemis.

Une colère noire m’envahit soudain, nous avions été pris de vitesse ! « Donnerwetter !« (Sapristi !), s’exclama Paquistein, mon fidèle sherpa bavarois.

Les infâmes « rouquins marteaux« , comme ils s’étaient baptisés eux-mêmes, avaient déniché la relique tant convoitée avant nous et semblaient bien décidés à la garder au péril de leur vie car ils nous avaient vu eux aussi et commençaient à se retrancher derrière un bouquet de cardères.

L’un deux m’interpella soudain :

Si tu veux la plume du dodu dodo, viens donc la chercher Indiana Jaune !

C’est professeur Jaune ! Rendez-nous la plume, sa place est dans un musée !

Mon fidèle sherpa ch’ti, Pachiteuh, intervint lui aussi :

-Allez les biloutes ! Er’venez ! Ch’est bon, v’zavez gagné ! (Très bien, les amis, vous remportez cette manche.Vous avez désormais toute notre estime.)

-Vrai ? Vous nous laissez la plume ?

Oui, fis-je, on retrouve les autres et on revient à la base.

Je savez reconnaître la défaite lorsque celle-ci se dressait devant moi, pour l’avoir souvent rencontrée aux cours de mes aventures. Et je ne pus que m’incliner devant le tricycle (les trois roux…). Ils avaient gagné pour cette fois, c’est vrai.

Nous retournâmes vers le « camp de base » lorsque sortirent soudain des fourrées les trois individus qui constituaient l’équipe des mésanges bleus, surnommés par leurs adversaires du jour… « les fourbes« . Mes sens ne me jouaient donc pas de tours, nous étions surveillés depuis le début. Sans doute en voulaient-ils eux aussi à la relique mais je ne pouvais m’empêcher de remarquer qu’ils avaient une attitude étrange.

Leur chef me toisa du regard quelques secondes puis lâcha :

-Bon ! On a faim, on a soif et on doit faire pipi. Il est plus que temps de rentrer, vous trouvez pas ?

Mon regard passa sur les trois protagonistes. Le premier parlait d’une voix rauque prouvant peut-être qu’il avait réellement soif, le ventre du deuxième imitait à la perfection le vélociraptor en rut et le dernier, quant à lui, sautillait d’un pied sur l’autre. S’ils bluffaient, c’était rudement bien imité. Je tentai quand même :

-Qui nous dit qu’une fois sur le chemin du retour, vous ne tenterez pas de nous ravir la relique ?

-Rien !

Bon sang, songeais-je, la technique imparable, ils avaient donc tout prévu. Je m’apprêtai à rétorquer lorsque l’un des Rouquins marteaux ne put s’empêcher de glisser :

-Héla, c’est notre plume ! N’oublie pas que vous avez perdu.

Oui nous avions échoué cette fois, il est vrai. Là s’arrête cette aventure mais ce n’est que partie remise. Lorsqu’on est un aventurier de ma trempe, on ne se démoralise pas pour si peu. Au contraire, cet échec fera en sorte de me galvaniser.

Et demain, lors de la pêche aux tritons, ce sera encore une autre histoire… Je croisai le regard de mon fidèle sherpa asthmatique. Un sourire sournois et maléfique s’afficha sur nos deux visages. Rira bien qui rira le dernier, foi d’Indiana Jaune !

 

ALLARD Olivier