Avis Garden [89]

« -Monsieur va prendre froid ainsi assis sur cette terrasse en plein vent…« 

L’homme qui venait de sortir cette évidence déposa avec une raideur toute britannique un plaid à carreaux sur les genoux d’un individu velu à la verticalité contrariée. Ce dernier semblait se perdre dans la contemplation d’images d’êtres photosynthétiques de toutes les couleurs.

« –Mmm… Désolé Jasper – répondit ce dernier – je rêvassai sur les belles photos du livre de Cédric Pollet sur les jardins en hiver. Quel formidable ouvrage ! Des cornus sont présentés à quasiment toutes les pages… Sans compter les Acer, les conifères et les bruyères. (ndlr : Poil au… )

-Sans doute, monsieur… Je vous ai amené une couverture et… un message d’une certaine Isabelle…

-Celle des roses et des énigmes abracadabrantesques ?

-Non, monsieur.

-Celle des guides nature ?

-Encore moins.

-Celle de mon précédent job ?

-Pas du tout.

-Celle qui travaille chez mon garagiste ?

-Prrrt !

-Celle de l’épicerie du coin ?

-Nope !

-Ah ! Celle qui a un nom de famille composé champêtre mais aquatique à la fois ?

-Non, encore une autre. Regardez plutôt !

-Mais qu’est-ce qu’elles ont toutes à s’appeler Isabelle en ce moment ?! Et puis d’abord « Pluto », c’est le chien de… Bon bref…« 

Jasper tendît une tablette numérique et sur l’écran on pouvait y lire cette simple injonction en lettres capitales.

J’attends votre article tous les dimanches matin. Continuez !

« -Ah !

-Vous voyez bien qu’il faut vous y remettre, monsieur.

-Bah oui, si c’est carrément un ordre, là, je ne peux y couper.

-De plus, j’ai une mauvaise nouvelle…

-Plait-il ?

-Euh… Francis Peeters…

-Et bien quoi Francis Peeters ?

Il va se lancer corps et âmes dans un nouveau blog. Et vous le savez qu’il est plus populaire que vous ? Et vous avez les mêmes lectrices… Cela risque, à n’en pas douter, de vous porter préjudice.

-Le p’tit chameau ! Branle-bas de combat, Jasper ! Tout le monde sur le pont ! On se retrousse les babines ! J’ai été trop longtemps oisif, vous avez raison, je me dois de réagir !

-J’aime vous voir comme cela, monsieur ! – Jasper affichait un large sourire absolument continental, le majordome prenait très clairement de mauvaises habitudes depuis qu’il avait quitté le Devonshire pour le pays de la bière et du surréalisme – Je cours aussitôt chercher la liste des « idées d’articles à réaliser un jour peut-être ou pas» épinglé sur votre ‘Rembrandt’ ?

-Non, cette fois-ci, je vais laisser travailler mon instinct légendaire et me balader simplement dans le jardin. J’y trouverai sans coup férir (ndlr : ou « fais rire » !) une bonne idée. »

 

Notre héros, car c’était bien lui, n’eut pas l’occasion d’aller très loin parmi les allées enneigées de sa propriété. Son attention fût pour le moins attirée par un homme courbé sur le manche d’un outil et dont la tête  était recouverte d’un chapeau de cuir sans aucun doute plus vieux que lui-même d’où s’échappaient des volutes de fumée à intervalles réguliers.

« -Quel est donc ce triste individu, bayant aux corneilles, qui semble ne tenir debout qu’à l’aide de cette bêche, qui me parait bien être la mienne d’ailleurs ?, s’étonna le maître des lieux.

-C’est Sigmund, votre nouveau jardinier. Il préfère qu’on l’appelle Siggy…

-Mon nouveau jardinier ? Mais il est pratiquement décédé ! Et puis depuis quand j’ai un jardinier ?!

-Il m’a paru extrêmement compétent lors de l’entretien d’embauche que je lui ai fait subir. Il m’a proposé un plan de massif réalisé uniquement à l’aide de cornouillers et…

-Mais, c’est quelqu’un de très bien ! Qu’est-ce que vous avez à lui reprocher encore ?

-Mais…

-Il suffit. Allons lui signaler mon illustre présence.

Les deux compères approchèrent sans discrétion de l’homme à la bêche.

« –Dites-moi mon brave, je…

-Chut !!

-De quoi ? Comment « chut » ? Vous vous fichez de moi ?

-Chuutteuh !! Vous allez faire peur aux oiseaux !

-Mais… Oh bah oui tiens ! Je n’avais pas vu qu’on avait installé des mangeoires.« 

En effet, à quelques mètres des trois hommes avaient été placées des mangeoires en bois et des silos grillagés remplis de graines. C’était le théâtre d’un ballet incessant d’une foultitude d’oiseaux multicolores et bigarrés. Chamailleries et disputes étaient légions, parfois même au sein des fratries.

« -Ils ont besoin de nourriture en ce moment.

-Des boules de graisses ? »

En guise de réponse, l’homme au chapeau au cuir élimé tira par deux fois sur sa pipe avant de lâcher :

-Bof… Surtout pas celles achetées en magasin en tout cas. Faites en vous-mêmes si possible… Et pas de filet en plastique autour surtout ! Les oiseaux se prennent parfois les pattes dedans. De plus, la graisse ou végétaline n’est physiologiquement pas une bonne nourriture pour les oiseaux. Et ça peut même leur apporter des maladies.

-Vous avez mis quoi alors ?

-Le mieux reste simplement quelques noix et cacahuètes et surtout des graines de tournesol.

-Et c’est tout ? Pas de pain ou des petits vers ou…

-Non, non non : rien de tout cela ! Mais, il leur faut aussi de l’eau dans des soucoupes avec une petite balle de ping-pong qui bouge avec le vent et évite ainsi qu’elle ne gèle trop rapidement.

-La balle ?

-Non l’eau…« 

sip with me (2)
Juste des graines de tournesols et quelques cacahuètes suffiront. Oubliez les boules de graisse !

Les oiseaux divisés désormais en deux groupes distincts, mésanges et pinsons d’un côté et moineaux de l’autre, commençaient réellement à se mettre sur le bec, façon Rocky contre Apollo.

« -Ils se chamaillent un peu là, non ?

-Oui, et il est temps que je remette des graines, on dirait qu’ils n’en ont presque plus. Quand on se lance à nourrir l’hiver, il ne faut pas arrêter. Bien que selon certains éthologues, les oiseaux se rendent vite compte qu’ils n’auront plus rien et partent à la recherche d’une autre nourriture mais évitons quand même les risques. 

-Pourquoi ne pas mettre une grosse dose d’un seul coup ? Vous ne devriez pas en mettre deux fois par jour. Et à plusieurs endroits du jardin en plus… »

Siggy tira encore deux fois sur sa pipe avant de répondre.

« –Il ne faut pas que les graines moisissent ou prennent l’humidité. C’est dangereux pour les oiseaux. Et oui, j’ai placé des mangeoires et des silos un peu partout dans le jardin. Cela attire moins les prédateurs sur une seule mangeoire et ça permet de nourrir plus d’espèces d’oiseaux différents en fonction de l’endroit du jardin dans lesquels ils sont placés.

-Les prédateurs ? L’épervier ?

-Surtout oui… Mais il faut bien qu’il mange lui aussi.

-Et les chats ?, s’avança fébrilement notre sympathique majordome so british.

-Taisez-vous Jasper ! (ndlr : ça va pas recommencer encore cette histoire avec les chats !) Ah tiens, l’accenteur est passé mais il a l’air de s’en fiche éperdument de vos graines. Ce troglodyte aussi. Et les mésanges à longue queue, mis à part nous tourner autour en faisant des petits cris comiques, elles n’ont pas l’air de s’en tracasser non plus.

Ils ne viennent pas tous à la mangeoire. Ce sont surtout les granivores et les omnivores qui iront : mésange charbonnière et bleue, verdier, chardonneret élégant, pinson des arbres et du Nord, moineaux domestiques et friquet, gros-bec casse-noyaux, bouvreuil pivoine, … Et même parfois, des oiseaux qui font des entorses à leur régime… Tel ce pic épeiche mâle, juste-là.

-Et les autres ? »

Deux volutes de fumée sortirent encore de la bouche de Sigmund avant qu’il ne se lança à répondre.

« –Ils sont partis en migration, comme la plupart des purs insectivores ou se débrouillent bien sans nous comme les carnivores, corvidés comme rapaces. Mais avec le réchauffement climatique, on commence à observer des migrateurs purs qui restent dans nos contrées car ils trouvent encore de quoi se nourrir, c’est le cas notamment du Pouillot véloce depuis quelques années. A contrario, nos hivernants habituels semblent moins rapidement délaisser leurs pays nordiques. Cette année, je n’ai eu que deux Pinsons du Nord… Et les Jaseurs boréal, là, on oublie totalement…

sip with me (1)
Quelques petites bêtes à plumes que vous pouvez rencontrer au jardin en hiver.

-Tiens, je me demandais justement…

-Dites.

-Les migrateurs qui reviennent affaiblis au printemps ne risquent-ils pas d’être désavantagés par rapport à ces gros bouffis qu’on engraisse aux mangeoires ?

-D’après certains spécialistes, c’est un risque. Sans compter qu’on contrecarre un peu la sélection naturelle en permettant des nichées d’oiseaux qui seraient morts sans notre intervention. Mais si on ne fait rien du tout, ce sont ceux que nous avons devant nous en ce moment qui seront dans une mauvaise posture.

-Vous comptez les nourrir comme ça toute l’année ?

-Non, j’arrêterai lorsque viendra les beaux jours en mars, pour recommencer en novembre. Certains nourrissent toute l’année, sans qu’il n’y ait réellement d’impact négatif mais en saison, il y a suffisamment à manger pour les oiseaux au jardin.

-Les insectes, les araignées, les autres bestioles avec pleins de pattes ou pas du tout…

-Et cette grosse haie d’arbustes à baie, indigènes ou non, que vous aviez planté avant que je ne reprenne le jardin. Bonne idée !  En plus lors de la floraison, ils attirent les insectes aussi. Sans compter cet enchevêtrement de rameaux épineux qui permet d’obtenir plusieurs nichées sur l’année, et ce en toute tranquillité.

-Et mon lierre !

-Et les vivaces, annuelles et graminées qu’on laisse monter en graine et qu’on « oublie » en hiver. C’est parfait aussi ! 

-Ah je me demandais justement pourquoi ce jardin avait l’air en friche… Je m’apprêtais à vous lancer un regard lourd de reproche…

-C’est fait pour ! Même cet arbre mort est laissé exprès, pour les cavernicoles comme les étourneaux par exemple. Mais on peut garder l’espoir de voir un petit couple de Chevêches d’Athena y trouver refuge. Il faut aussi continuer de laisser les mousses et les lichens sur les arbres pour la fabrication des nids et pour les insectes qui s’y réfugient.

-Et un bon paillage un peu partout. D’ailleurs… »

sip with me (3)
Abri et nourriture, c’est tout ce dont les oiseaux ont besoin. Des baies, des bestioles à manger, quelques plantes montées en graines et des rameaux épineux. Si vous pouvez en plus y ajouter une petite mare : ce sera le paradis pour eux.

Notre brave blogueur n’eut pas le temps de finir sa phrase car une furie aux cheveux de feu venait de surgir de la neige et s’agitait frénétiquement tel un ozonateur à recirculateur venturi que l’on aurait bêtement branché sur du triphasé (ndlr : et ce malgré le fait que l’ingénieur en charge du projet avait bien mis une pancarte !).

« -Wouhou !!! Attendez-moi ! Je vous apporte un truc, un machin…, s’égosilla la rouquine.

-Mais chuuuteu !!! Cette damnée va faire peur aux oiseaux, bon sang de bois ! Quelle est donc cette furie rousse qui fonce vers nous tel un bulldozer rutilant ?

-C’est ma nièce, monsieur. Je me suis permis de la prendre sous mon aile pour un stage chez vous, répondit Jasper.

-Et vous comptiez m’en parler quand ?

-A vrai dire, je ne comptais pas vous en parler du tout et espérais qu’elle soit plus discrète durant son séjour. 

La nièce de Jasper arriva essoufflée mais néanmoins sautillante près des trois hommes. Elle leur tendit une petite carte sur bristol.

« -J’ai un message pour vous. Mais il n’y a qu’un dessin bizarre et une adresse. 

-Une chauve-souris stylisée ? Et juste une adresse au dos de la carte ? Quelle étrange énigme… Mais j’y pense, Jasper, le voilà le sujet du prochain article  : les chiroptères ! Depuis le temps que je dis qu’il faut que j’écrive sur ces bestioles. »

S’en était trop pour la nièce de Jasper. Sa patience s’évanouit d’un coup pour ne plus laisser place qu’à une surexcitation sans limite. Elle ne tenait réellement plus en place :

« -Super ! Je cours chercher vos affaires et je fais chauffer le moteur de la chouette voiture jaune dans le garage ! »

Et la voilà qui s’encoure vers la maison en zigzaguant à l’aveuglette parmi les branches rouges, jaunes ou oranges des multiples cornouillers du jardin.

« -Elle est très… énergique et… motivée, fit observer Nature Lupine.

Certes, répondirent en chœur Sigmund et Jasper.

-Et comment se nomme cette charmante jeune femme ? Ah ! Ne me dites pas qu’elle s’appelle Isabelle, elle aussi !

-Non, elle a pour nom : Gwendoline. Mais si j’étais vous, j’essayerais de la rattraper car la chouette voiture jaune dont elle faisait allusion à l’instant et sans nulle doute…

-Oh bon sang ! La Ferrari ! »

 

ALLARD Olivier

 

Pour ceux qui n’ont pas la chance d’être belge, la LPO organise ce weekend le comptage annuel des oiseaux de jardin. Plus d’infos, par ici.

Pour ceux qui n’ont pas la chance d’être français, Natagora organise le weekend prochain (2 et 3 février) la même chose. Plus d’infos, par ici.

Et pour ceux qui sont à cheval sur la frontière, nous organisons au CRIE d’Harchies, notre journée événement familiale le dimanche 3 février aux marais d’Harchies sur le thème des oiseaux. Plus d’infos, par ici.

Et pour en savoir plus sur le comment et le pourquoi d’aider les oiseaux au jardin, je vous propose la lecture d’un bon livre de Benoit Huc intitulé « Accueillir les oiseaux au jardin » aux éditions Ulmer. N’hésitez pas à chercher aussi Benoit sur Facebook, ses photos d’oiseaux sont magnifiques.

Baguette de cornouiller [HS]

On me demande souvent d’où peut bien me venir un tel amour immodéré, et définitivement immodérable malgré les injonctions de mes proches et de mon banquier, des cornouillers. Il est temps que je vous dévoile enfin toute l’histoire. C’était il y a de cela bien des années…

Un grand type barbu et chevelu, à une époque où je n’arborais fièrement moi-même qu’une dizaine de poils sous le menton, m’avait apostrophé dans une jardinerie. Il arguait qu’étant donné ma passion pour le jardin et mon goût de l’écriture, je devrais me lancer en tant que blogueur et oublier définitivement mes rêves d’écrire un jour un livre conséquent, un roman ou un scénario de bande-dessinées. Il fût sortit sans ménagement par deux employés du magasin qui n’avait vu en lui qu’un énième clochard venu se réchauffer au coin d’un feu de bois artificiel, mais il pût, tout de même, me glisser dans la main un ticket de train pour… une convention de blogueurs sans frontière « jardin et nature ».

Dans le train qui menait à l’endroit où se déroulerait cette réunion, je fis la connaissance de quelques individus, parfois drôles, souvent intéressants et occasionnellement fantasques. Certains, sur le temps du trajet, commencèrent déjà à compter parmi mes amis. Mais la plupart était déjà, soit des fans, soit des gens dont les oreilles avaient eu vent de ma légende. J’étais en réalité plus connu que je ne le pensais moi-même.

« –Mais c’est vous Nature Lupine ! Le mal-rasé !, s’enthousiasma la première.

Oh, vous faites déjà des articles ? Oh ben ça alors !, s’étonna un deuxième totalement débutant dans le blogging.

-Vous êtes mon blogueur préféré !, s’exclama la troisième.

Cependant l’une des blogueuses avec un air hautin entra comme une furie dans le compartiment que j’avais choisi alors que nous discutions moi et l’une de mes nouvelles connaissances de la meilleure manière d’aborder simplement et efficacement le complexe argilo-humique dans un article.

« -Ah, tu écris un article !, apostropha-t-elle aussitôt mon camarade.

-Euh oui, je te montre… Euh, alors, ce qu’on doit savoir dans le complexe argilo-humique, c’est que… euh…, débuta maladroitement celui-ci.

Je vois… On ne peut pas dire que ce soit une réussite ! Moi, je n’ai écrit que des articles simples jusqu’ici mais ils ont été lus à chaque fois… Hum ! »

Puis elle sortit comme elle était venue, nous laissant tous les deux cois.

 

Arrivé à destination, il s’avérait que l’organisateur du colloque avait mis les petits plats dans les grands. L’endroit en effet, un gigantesque château placé au centre d’un lac ne pouvait être abordé qu’en barque. Ce qui ajoutait encore au charme suranné de ce monument historique.

Hélas, sitôt entré, je n’eus pas le loisir de contempler les collections d’œuvre d’art et d’antiquités qui s’amoncelaient à l’intérieur du château tel une caverne d’Ali Baba car quelqu’un me héla derrière moi.

« -Ainsi donc, c’était vrai ce qui se disait dans le train. Nature Lupine est présent au colloque…

-Laisse-le tranquille, toi !, intervint une des personnes que j’avais rencontré dans mon compartiment. »

Celui qui m’avait interpellé de la sorte sembla regarder avec dédain de la tête au pied, le jeune blogueur qui venait de prendre ma défense.

« -Mmm… Des cheveux en batailles, un vieux pull tricoté et une bêche de seconde main ? Inutile de te demander sur quelle thématique tu écris ! Tu tiens un blog de permaculture, n’est-ce pas ?« 

Puis se tournant vers moi, il me lança :

« -Tu verras bien vite que certains types de blogueurs valent mieux que d’autres. Pour éviter les gens douteux, je peux te donner quelques conseils.

-Je n’ai besoin de personne pour savoir qui sont les gens douteux, répondis-je sèchement. »

Nous n’eûmes pas le temps de nous frapper sauvagement le visage, selon la coutume, avec des sarments de vigne qu’une dame à l’âge incertain nous interrompit et nous présenta une partie du  programme de la journée. Son laïus terminé, elle nous invita à la suivre dans une grande salle dont le plafond était décoré de nombreux commentaires positifs et encourageants, de likes et de notifications de partages.

-Ce ne sont pas des vrais commentaires bien sûr ! C’est un plafond magique qui ne montre pas la réalité. Je l’ai lu dans l’Histoire des réseaux sociaux, expliqua la fille du train.

Mais notre groupe s’était arrêté pour écouter la vieille dame en robe verte.

« –Vous allez bientôt passer sous le choixpeau de paille qui vous indiquera votre futur maison pour le séjour que vous passerez chez nous.  Les différentes maisons sont représentées par un genre d’arbuste symbolisant les différents styles de blog. Cela nous permettra de vous trier et de créer des groupes qui s’entendent plus ou moins bien… Je vais maintenant vous appeler un par un et vous vous placerez sous le choixpeau de paille, c’est lui qui décidera dans quelle « maison » vous irez. Elles ont pour nom Rosaigle, Rhododendroufle, Hydrangeard et… oh puis flûte, le choixpeau vous expliquera ça mieux que moi. »

Tout le monde se succéda rapidement sous le choixpeau de paille. Le blondinet de tout à l’heure fût aussitôt et sans hésitation envoyé vers hydrangeard. Une fille habillée tout en rose fût transférée chez Rosaigle. Pour d’autres, le choix du choixpeau de paille semblait plus délicat, et il lui fallait parfois plus d’une minute pour savoir dans quelle maison envoyer un jeune blogueur. On en reconduit même une à la porte car elle semblait s’être perdue chez nous, son blog ne parlant que de voitures de sport… Puis se fût mon tour… Je me plaçai sous le choixpeau comme on me l’avait ordonné non sans une certaine appréhension. « Et si je n’étais pas assez bon pour écrire sur un blog ? » « Si on me renvoyait chez moi illico presto ? »

« –Je vois… Assez peu de courage mais des qualités intellectuelles aussi. Et beaucoup de mauvaise foi. Il y a du talent, c’est indéniable. Et un grand désir de faire ses preuves… Mais trop de fainéantise pour pouvoir percer réellement. Alors où vais-je te mettre ?

Pas à hydrangeard… Pas à hydrangeard…, suppliais-je.

-Pas à Hydrangeard n’est-ce pas ? Tu es certain ? Tu as d’immense qualités, tu sais. Et surtout une arrogance sans limite. Je le vois dans ta tête… Et Hydrangeard te permettrait d’avancer sur le chemin de la grandeur. Cela ne fait aucun doute…

-Pas à hydrangeard… Pas à hydrangeard…. Tout sauf hydrangeard…

-Bon… Si tu es sûr de toi… Il vaut mieux…

Cornouilledor !!

-Lupine avec nous ! Lupine avec nous ! »

Le groupe des Cornouilledors explosa littéralement de cris de joie. Toutes les personnes attablées m’accueillirent à grand coup de tapes dans le dos et de serrages énergiques de main. Je reconnus à cette table, le gars avec qui j’avais sympathisé dans mon compartiment et la fille du train qui me sembla déjà un peu moins hautaine. Je m’asseyais à côté d’eux. et soufflais un grand coup. Non seulement, on ne me reconduira pas chez moi, mais de plus, j’étais immédiatement accepté dans leur maison. Ce colloque commençait plutôt bien…

 

Voilà toute l’histoire. Ça s’est plus ou moins passé comme ça… A peu de choses près…

 

ALLARD Olivier

Pelouse interdite [88]

« -Que monsieur me pardonne mais je trouve quand même que tout ceci est assez tarabiscoté, si vous me permettez l’expression…

-Laissez ces biscottes où elles se trouvent, Jasper… Je vous ai déjà dit cent fois (ni loi!) que pour me permettre de faire vivre des aventures à mon personnage, je devais le faire riche. C’était la seule solution. Sinon comment voulez-vous qu’un héros se débrouille s’il doit se tracasser de travailler et de payer ses factures. Tintin et Haddock habitent au château, Wilde et Sinclair se fichent éperdument de la fin du mois, Magnum vit dans une somptueuse propriété à Hawaï, même Bob Morane est pété de tunes…

-Oui, mais Thomas Magnum doit prendre en charge les frais de la Ferrari de monsieur Masters…

-Peu importe ! Ce sera comme cela, fin de la discussion. Et je vous trouve bien mal venu de rouspéter à ce sujet. N’oubliez pas que si mon personnage reste pauvre, pas de Jasper. Et pas de Jasper ?

-Finit mes concours de tricots et de crochets… Mais je ne sais pas… J’aurais vu pour un blog nature et jardin une ambiance plus… comment dire… plus « maison dans la prairie ».

-Jasper…

-Oui, monsieur, …

-Vous ne savez pas couper du bois. Mais trêves d’ergotages, nous voici arrivés à cette fête des plantes. »

Quelques minutes plus tard… Lorsque nos deux compères purent rentrer au sein du parc et qu’on leur eut remis le plan de celui-ci.

« -Monsieur sera déçu, monsieur. Plus aucun pépiniériste ne semble encore vendre de cornouiller.

-C’est une blague j’espère, Jasper (ndlr : oulà, pas facile à dire ça!) !

-Hélas non monsieur… Les Cornus ne sont déjà plus à la mode…

-Nous nous rabattrons donc sur les fougères…

-Dois-je rappeler à monsieur que l’habitacle d’une Maserati Granturismo n’est pas réellement prévu pour transporter deux palettes de vivaces.

-Ce n’est pas mon problème. C’est vous qui conduisez, c’est donc vous qui vous occupez du chargement et… »

Un individu Homo sapiens mâle venait de très légèrement frôler la manche gauche de la veste hors de prix, selon ses dires, de notre héros. Son sang devint tiède, car il perdit son sang-froid consécutif à la pratique du jardinage par grande sécheresse, et ne fit qu’un tour. (ndlr : mais ça ne veut rien dire !)

-Non mais dites donc, vous ! Vous ne savez pas qui je suis ! Je vous provoque en duel jeune paltoquet !, éructa-il en sautillant et en agitant ses petits poings.

BING !

Quelques secondes plus tard… Le corps de notre héros gisait sur l’herbe humide devant un étal de vivaces en fleurs. Aucun badaud ne semblait se préoccuper du sort de notre ami. Pas même un scout-brouetteur ne s’arrêta pour prendre livraison du colis moyennant une piécette ou deux.

« -Excusez-moi, lorsque j’ai vu cet homme s’agiter curieusement autour des heuchères ‘caramel’, j’ai eu peur pour elles et je suis intervenu un peu sèchement.

-Ce n’est rien, ça lui arrive tout le temps. – répondit Jasper en attrapant les chevilles de son patron toujours placé horizontalement sur le sol. Il commença à le traîner vers le parking lorsqu’il expliqua – Mon patron possède la malencontreuse habitude d’arrêter tous les coups directs avec le nez… Ce qui est une bien mauvaise idée si vous voulez mon avis. Quoi qu’il en soit l’incident est clos et j’espère que vous garderez tout de même un bon souvenir de cette journée. Je ne crois pas vous avoir demandé votre nom, Monsieur ?

-Semoun. Elie Semoun.« 

 

Papa noël est enfin passé. Chez vous, il vous a laissé votre orange réglementaire mais par chez moi, il m’a déposé sous le sapin quelques cadeaux bien trouvés : une scie d’élagage (d’une firme savoyarde…), un rhum hors d’âge, un harmonica (ne posez pas de questions !) et une tonne et demi de bouquins en tous genres.

Parmi ceux-ci, coincé entre deux intégrales de bande-dessinées belges, le livre d’Elie Semoun :

Pelouse interdite

pelous interdite
Et oui, encore un Ulmer… Mais avec une mini-préface de Jean-Paul Rouve

Un titre qui fera, sans conteste, l’unanimité parmi nos amis permas, mal rasé(e)s, hortusien(ne)s ou les punks et punkettes du jardin. Et peut-être même aux autres…

Car, oui, étonnamment lorsque aperçoit le nom de l’auteur, on a du mal à deviner que ce livre parlera de… jardin. Et pourtant il en parle. Et pas de n’importe quel jardin ! Son jardin. Le sien. A lui.

Mais n’escomptez pas y trouver des conseils pour semer vos carottes. Car Elie n’aime pas le potager. Je ne saurais d’ailleurs lui en tenir rigueur. J’ai moi-même pris ma retraite concernant le potager pour ne me consacrer définitivement qu’à l’ornement et à la protection de la nature dans mon petit bout de terrain. J’en ai « soupé » du maraîchage du dimanche. Vive la permaculture naturo-ornementale !

Monsieur Semoun n’a pas non plus la prétention de vous indiquer comment soigner telle ou telle plante ou comment on doit tailler, planter, chipoter, … au jardin.

Il nous parle juste de son amour immodéré pour les plantes. Car il aime les plantes en effet… Parfois un peu trop (mais pourrait-on lui reprocher ?). Notamment lorsque, sur un coup de tête, il dévalise la moitié du stock d’un pépiniériste spécialisé ou qu’il prend l’excuse bidon d’une tournée de spectacle, pour avoir l’occasion de faire… une tournée de jardineries, fêtes des plantes ou autres dealers de plantouilles. Nous avons d’ailleurs un dealer commun en la personne de Thierry (et Sandrine!) Delabroye…

Quelques anecdotes sont assez croquignolesques comme lorsqu’il se fait jeter au garde-à-vous par Catherine Deneuve pour avoir laissé dessécher des Camélias en plein cagnard (ndlr : Catoche – oui, moi je l’appelle Catoche – est aussi une folle de plantes) ou lorsqu’un revendeur de volailles vient lui apporter ses nouvelles acquisitions dans… le hall d’un hôtel de luxe bruxellois. Cot Cot !

En réalité, la lecture de ce livre nous procure un bien fou. Une bouffée d’oxygène. Un soulagement incroyable. Car Elie Semoun est un jardinier comme vous, comme moi, comme tous les autres… Il plante – il rate – il plante – il rate – il plante – il réussit enfin.

Comme nous !

Il essaye, il tente (d’indien!), il n’écoute pas les conseils qu’on lui donne, il plante trop rapproché (c’est bien!), il plante trop âgé pour tenter de gagner du temps (c’est pas bien !), il achète tout d’un coup, il fait des mauvais plans sur un vieux bout de papier, il est impatient, …

Comme nous !

Oui, il est impatient. Comme il le dit lui même, le jardin ne lui a pas appris la patience (à moi non plus d’ailleurs !) mais le respect.

« On dit que la jardin est une école de patience et de sagesse… Eh bien j’ai le regret de constater que sur moi, ça n’a pas eu d’effets ! » Elie Semoun

Et il adore les abeilles, les animaux et la nature en général.

Comme nous !

Seul léger bémol de cet ouvrage, les conseils jardino-pédagogiques de Didier Willery semblent tomber dans les pages du récit tel un meconopsis dans une collection de fougères (ndlr : mais c’est très beau un pavot de l’Himalaya parmi des fougères!). Ils viennent sensiblement casser le rythme de la narration et on se surprend à penser à voix haute « Oui, c’est bon Didgé, on le sait tous ça ! Maintenant laisse parler Elie ! ».

Je me demande ce qu’il aurait dit si quelqu’un avait eu l’outrecuidance de l’interrompre sans cesse dans « Dingue de plantes » ? Ceci dit, ce n’est guère dérangeant car les notes de Didier Willery sont en italique, ce qui permet de les passer si le cœur vous en dit. Ou, à contrario, de les retrouver plus facilement si vous cherchez des explications sur une plante précise (le daphniphyllum par exemple!) car, après tout, je suis peut-être le seul que cela dérange…

En conclusion et pour m’arrêter là de peur de « spoiler » un peu trop le bouquin, je dirais que c’est un livre rassurant pour tous les jardiniers qu’ils soient débutants ou confirmés. En effet, on se rend compte que nous avons tous les mêmes défauts mais surtout les mêmes qualités quelque soit notre milieu d’origine ou notre cadre de vie. Même si, lorsqu’on lit le livre on se rend compte qu’Elie Semoun est quelqu’un de bien plus simple et modeste que ce qu’on aurait pu penser de prime abord de la part d’une « vedette« .  Nous sommes finalement tous pareils. Mais aussi, et surtout, nous sommes tous nuls à notre façon. Car nous tous, nous « ratons » des choses au jardin avec une rigueur de métronome suisse. Mais qu’importe quand on se rend compte que nous ne sommes pas les seuls…

C’est, en définitive, un beau témoignage d’un autre « dingue de plantes » à lire au coin du feu lorsqu’il fait bien trop venteux et humide dehors pour sortir le bout du nez. Un chouette cadeau à s'(e faire) offrir.

« Mon jardin est comme un livre que je relis tous les jours, mais dont les mots, toutes les nuits, se transforment et changent de place pour former des phrases différentes. » Elie Semoun

 

Deux jours plus tard… Au manoir ‘Nature Lupine’…

« -Un monsieur est là pour vous monsieur. Voici sa carte et il amène un étrange outil sur son épaule, un ébrancheur je crois. »

La carte que me tendait Jasper indiquait en gros caractères un simple nom :

« –Didier Willery ! Mais… Vous venez vous venger de mon article en me coupant mes chers cornus à ras de terre. C’est bien cela ?

-Ah bah non… Je venais juste vous mettre cet outil en pleine tronche.

-Ah ok… Bon on dit qu’on fait comme ça… »

BING !

 

ALLARD Olivier

 

PS : pour commander le livre : Pelouse Interdite.

PS’ : message personnel à Elie : « C’est quoi cette idée de ne planter qu’un seul Cornouiller, un simple Cornus controversa ‘variegata’ en plus ? Vous allez me faire le plaisir de remédier à cela dans les plus brefs délais ! Nonméhodidonc ! »